« Cent hommes, dit le vieux platonicien,
peuvent lire un livre au moyen de la même lampe,
et cependant tous peuvent n'être pas d'accord
sur le sens du texte, car la lampe n'éclaire
que des lettres et c'est l'esprit
qui doit deviner le sens. »
Zanoni, Sir Edward Bulwer Lytton

Qu’est-ce qu’un quatrain ?

Lire Nostradamus dans le texte n’est pas chose aisée. Avant de l’aborder, il est souhaitable de se sensibiliser aux différentes techniques d’approche. Souvenons-nous que les Centuries sont un texte codé qui ne peut être pénétré sans préparation préliminaire. Les éléments présentés ici, bien que primordiaux, ne peuvent, à eux seuls, donner un résultat pleinement satisfaisant. Ceux-ci, pour obtenir un résultat convaincant, doivent être combinés avec les systèmes de datation énoncés dans N.D.

a) Trinus et unus (trois et un)
Drôle de titre pour expliquer ce qu’est un quatrain, mais il contient en fait un excellent message. Ce titre je l’ai extrait d’une invocation de Nostradamus à Dieu, tirée de l’almanach pour l’année 1566, en vue de conférer à ses travaux toute pureté et impartialité.

Dieu est en effet selon la formule chrétienne trois et un, ce trois et ce un ne sont qu’un. Il en est de même pour un quatrain (homophoniquement : quatre un). Un quatrain est un « trinus et unus » une unité en soi et aussi quatre éléments séparés (trois plus un), encore faut-il définir en quoi consiste cette unité. Ma conviction, après avoir découvert les divers systèmes de datation, est que dans la plupart des cas, cette unité est celle du temps. Donc chaque quatrain, c’est-à-dire l’ensemble des quatre vers décrit des événements ou des personnages pouvant se situer dans des lieux différents d’une façon presque synchrone.

En effet, si pour certains quatrains les événements se sont produits exactement le même jour, les lieux eux, étaient relativement éloignés l’un de l’autre, pour d’autres un écart de quelques mois est possible, mais il ne devrait pas, en principe, dépasser l’orbe d’une année. Quatre faits simultanés sont donc possibles.

Pour d’autres quatrains, l’unité sera celle de sujet. Ce sujet peut avoir des répercussions dans le temps, quelques années, voire quelques siècles plus tard.

En général, l’interprétation d’un quatrain est unitaire et unique. Tous les composants : vers, mots doivent s’accorder et s’harmoniser de façon à trouver la solution, et la seule, qui soit valable. Le sujet peut être un événement, un ou plusieurs personnages, une découverte ou un objet. L'œuvre de Nostradamus ne se limite pas à la France, toute la planète est concernée.

Voyons ce qu’un quatrain n’est pas, et ne peut être. Nous allons passer en revue certaines hypothèses irrecevables et les réfuter.

1 - On peut interpréter chaque vers séparément (théorie de P.-V. Piobb dans les années 1920) :
Avec ce système, tout est possible. On peut tout dire et tout faire dire à Nostradamus, et déjà, même sans cela, certains ne s’en privent pas. De plus, c’est ne tenir aucun compte de la peine que s’est donnée Nostradamus à écrire ses prophéties sous forme de quatrains.

2 - Certains quatrains se réfèrent à des événements ayant eu lieu avant la première parution des centuries (1555) :
Nostradamus aurait eu peu de raison de le faire, si ce n’est, et seulement si, il avait voulu désocculter certains faits antérieurs. Mais comme aujourd’hui, avec nos connaissances, ces points troubles du passé risquaient fort d’être anihilés de toutes mémoires, de ce point de vue, cette hypothèse n’est guère recevable. De plus, imaginer que Nostradamus n’ait écrit seulement qu'une partie de ses quatrains et recopié quelques prophéties oubliées sans y rien comprendre est un non sens.

3 - Un quatrain peut avoir plusieurs interprétations :
Nous avons devant les yeux un exemple type de cette aberration mentale : l’ouvrage « Nostradamus : Prédictions pour la fin du millénaire ». Dix, voire vingt anagrammes sont composées en prenant toutes les lettres d’un quatrain, cela forment pour eux, vingt interprétations futures. Il faut ajouter à cela que le système de datation de ces auteurs, totalement arbitraire et illogique, est basé sur une méconnaissance de la langue au temps de Nostradamus qu’il est hors de propos de détailler ici.

4 - Il suffit de se baser sur un nom ou un vers du quatrain pour affirmer l’avoir interprété :
Que ce soit pour un quatrain relatif au passé ou au futur nous ne manquons pas, hélas, d’auteurs assez imaginatifs pour encombrer les rayons de notre bibliothèque.

5 - Les quatrains ont d’abord été rédigé en latin par Nostradamus :
Certaines lettres de Nostradamus contredisent ce fait, il y est dit en substance qu’il préfère de beaucoup écrire les interprétations des thèmes astrologiques de ses clients en français, car cette langue est plus subtile que le latin. D’autre part, il est bon de signaler que ce n’est qu’un siècle et demi après la parution des Centuries que cette thèse a été émise, la langue française ayant été si torturée par nos chers linguistes que les plus savants n’y retrouvaient pas leurs petits. La langue qu’utilise Nostradamus était celle de ses contemporains, elle gardait des traces du gallo-romain, d’expressions qui sont encore en vigueur dans nos campagnes. Toutefois, pour nous autres, il nous faut souvent nous replonger dans les dictionnaires de latin et de grec pour retrouver l’étymologie et le sens caché des mots utilisés par le mage de Salon, mais ça c’est une autre histoire.

6 - Les quatrains sont reliés chronologiquement :
C’est une thèse qui a beaucoup d’adeptes, et ceux qui s’y sont essayé, ont tous échoué dans leurs recherches. Nostradamus ayant daté ses quatrains comme vous allez le voir plus loin, ce n’est pas de cette façon que les quatrains sont reliés entre eux.

7 - Les quatrains prophétiques de Nostradamus ont été écrits au XVIe siècle pour dépeindre le XXe siècle qui capitalise à lui seul les deux tiers de l’œuvre (cf. Jean Charles de Fontbrune) :
Le simple bon sens contredirait ce fait. Certaines périodes de l’histoire (guerres particulièrement meurtrières, enjeux mondiaux importants) peuvent accumuler plus de quatrains, notre époque peut-être est-elle de celle-là, mais en aucun cas dans l’état actuel de nos recherches nous ne pouvons affirmer que le XXe totalise les deux tiers des quatrains existants. L’auteur de cette thèse, qui a pillé tous les quatrains relalifs à l’histoire passée déjà expliqués chez nombre d’exégètes, n’a fait, en vérité, sur le passé que très peu de découvertes. Se basant sur la facilité, il a laissé libre cours à son imagination.

8 - Certains quatrains sans portée prophétique ou à sens multiple, ont été mis par Nostradamus au milieu de son œuvre pour égarer encore davantage la plupart des commentateurs, et tout particulièrement ceux qui ne verraient dans son œuvre qu’un moyen astucieux de s’enrichir, usant et abusant de la renommée de cet illustre personnage à des fins purement commerciales (cf. Jean-Charles de Fontbrune) :
Une telle sentence suppose que cet auteur connaisse tout de l’œuvre de Nostradamus pour juger de ce fait or j’en doute. Tous les quatrains, sans exception, ont leur importance, et l’on devrait les étudier soigneusement, ceux-là plus que d’autres, avant d’en tirer de hâtives conclusions. Ce n’est pas notre inaptitude à évaluer son ou ses contenus qui peut leur discréditer toute valeur.

D’autres objections pourraient être relevées sur les idées reçues qui courrent sur les quatrains de Nostradamus. Les quelques directions données ci-dessus ont été énoncées pour clarifier les choses et non les compliquer.